Ange-Félix Patassé : la baroud d'honneur du « petit frère de Jésus »

Publié le par CENTRAFRIQUE EN LIGNE

A 72 ans, « le Barbu National » livre sans doute l'ultime combat d'un parcours politique empli de triomphes éclatants et d'obscures déroutes. Et ce combat, il compte bien le gagner seul, sans parti politique derrière lui. En effet, Ange-Félix Patassé se présente en tant que candidat indépendant au premier tour des élections présidentielles du 23 janvier, dans à peine deux jours maintenant, après avoir échoué à reconquérir le MLPC face à son ancien Premier Ministre, le candidat Ziguélé. Celui qui fut Président de la République Centrafricaine pendant une décennie, de 1993 à 2003, prétend jouer sur sa verve légendaire et son charisme inégalé pour l'emporter face à deux adversaires de taille, à savoir Martin Ziguélé et surtout le Président sortant, François Bozizé Yangouvonda. Pourtant, à Bangui comme en province, on voit peu Ange-Félix Patassé. Sa campagne est quasiment inexistante, sa tournée électorale se fait en catimini et ses affiches se montrent avec une parcimonie extrême. Seules des apparitions sporadiques dans les grands médias internationaux comme Jeune Afrique ou RFI rappellent au peuple centrafricain que leur ancien dirigeant tente de reconquérir son fauteuil, sept ans après en avoir été chassé par le sursaut patriotique du 15 mars 2003. Son programme : il n'en parle pas, martelant sans cesse un même message, lancinant, quasi-halluciné. Tel Jeanne d'Arc entendant les voix de Saint-Michel et Sainte-Catherine au début du XVème siècle, il affirme avoir été « envoyer par Dieu pour délivrer la RCA » et se présente à tous comme « le petit frère de Jésus ». Pas sûr que cela suffise pour convaincre les centrafricains de lui faire à nouveau confiance. Surtout que, tel un boulet arrimé solidement aux pieds du prisonnier, le « Barbu National » traîne derrière lui un lourd passif.

 

Car aucun centrafricain ne saura oublier l'épisode des banyamulenge du MLC (Mouvement de Libération du Congo) et l'implication de Patassé dans cette sombre page de l'histoire de la RCA. Si aujourd'hui, l'ancien Président ne se trouve pas aux côtés de Jean-Pierre Bemba sur le banc des accusés de la Cour Pénale Internationale à la Haye (Pays-Bas), il ne porte pas moins une large responsabilité dans cette affaire. Il nous faut ici signaler à nos lecteurs que de nombreux témoins affirment que c'est Patassé en personne qui a décidé de la venue en RCA de ces miliciens congolais en 2001, et a fermé les yeux sur leurs nombreuses exactions contre les mêmes électeurs qui lui avaient accordé leurs suffrages en 1993 et en 1999. Initialement employés en tant qu'auxiliaires des Forces Armées Centrafricaines pour endiguer la menace d'un coup d'état, les mercenaires du MLC se sont rapidement transformés en des éléments incontrôlables multipliant rapines et abjections. C'est donc avec soulagement que, le 15 mars 2003, les populations de l'ensemble de la RCA ont accueilli la chute de Patassé, alors en voyage officiel en Libye et déjà affaibli par deux tentatives de coups d'états survenus en 2001 et 2002. Il connaîtra par la suite un long exil à Lomé avant de rentrer au pays fin 2009. Pourtant, dix ans plutôt, tout avait bien commencé.

 

A l'aune d'un vaste processus démocratisation recouvrant toute l'Afrique (découlant des résolutions de la Conférence de la Baule), les première élections démocratiques de l'histoire de la RCA sont organisées en 1993, après douze ans d'un règne sans partage d'André Kolingba. Le Général yakoma battu dès le 1er tour, le deuxième tour oppose Abel Goumba et Ange-Félix Patassé. Ce dernier est loin d'être un inconnu des centrafricains. Né en 1937 à Paoua d'un père gbaya et d'une mère kara, plusieurs fois ministre sous l'ère de Bokassa Ier (notamment d'un curieux ministère du « développé » entre 1966 et 1968), il culmine au paroxysme de sa carrière sous le règne impérial lorsqu'il est désigné Premier Ministre en décembre 1976. Patassé sera limogé en juillet 1978, un an avant la chute l'empereur lors de l'opération « Barracuda ». S'en suit une fuite du pays, à Lomé déjà, au cours duquel il crée le parti d'opposition MLPC, Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain. C'est immaculé de tous les excès de l'ère Kolingba qu'il revient à Bangui et se présente aux élections. Fasciné par sa prestance et son aura, les centrafricains l'élisent largement au second tour face à un des pères de l'indépendance. Durant les trois premières années de sa présidence, le pays connaît un large renouveau, tant politique qu'économique. Pourtant, la situation va rapidement se dégrader et les immenses espoirs suscités par Patassé rapidement déçus : mutineries (trois dans la seule année 1996), réélection contestée en 1999, tentatives de coups d'états, stigmatisation des yakoma, arrestations arbitraires, exécutions extrajudiciaires, pays en pleine déliquescence économique... Tous ces paramètres vont nuire considérablement à la popularité du locataire du Palais de la Renaissance et c'est dans un climat délétère que vont se dérouler les dernières années de son règne. La suite, nous la connaissons.

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Alors, sept ans après, a-t-il vraiment changé ? A-t-il réussi à abhorrer sa paranoïa et son refus du consensus ? A-t-il mis de côté ses démons qui ont conduit le pays à la ruine en à peine sept ans ? Quoi qu'il en soit, sa tâche sera extrêmement difficile. A la présidentielle comme aux législatives, où, dans la circonscription de Bérbérati I (préfecture de la Mambere-Kadeï), loin de ses bases, il affronte dans un choc des titans le Ministre d'Etat aux Mines Sylvain Ndoutingai et Emile Gros Raymond Nakombo, le candidat du RDC à la présidentielle. Sa popularité s'est considérablement effritée et son message mystique ne semble pas emballer les électeurs. Celui qui aura 73 ans le 25 janvier prochain livre donc un dernier combat mais plus personne, excepté Ange-Félix Patassé lui-même, ne veut croire que le phoenix barbu pourra renaître de ses cendres.

 

Sara Pendéré

Rédaction Centrafrique En Ligne

Publié dans EDITORIAL

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